La boîte à rêves

Posted on 13 mars 2012

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Elle se remplit d’année en année, à mesure de rencontres, d’inspirations, de routes parcourues. Elle entasse en fatras, ici un livre en forme de roman, court et vif ou alors du genre initiatique, là une scène pour le théâtre ou la musique, ici encore des pages et des pages de magazine couvertes de reportages au bout du monde, illustrées de photos qu’on n’oublie pas. Et puis, depuis l’enfance, elle est tapissée de cette mappemonde, de villes dont le seul nom suffit à donner l’envie d’enfiler un sac à dos, de pays dont les milliers d’images regardées rendent à la fois l’impression de les connaître par cœur et réveillent, chaque fois qu’elles sont dépoussiérées, une excitation unique.

Dans la boîte à rêve, il y a beaucoup, beaucoup de choses qui entrent et attendent de se révéler. Le voyage, surtout celui qui « se passe de motifs (…), ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même », celui « qu’on croit qu’on va faire » mais qui bientôt « nous fait ou nous défait », dirait Nicolas Bouvier, en font partie. Ils sont peut-être plus faciles à sortir de la boîte que d’autres de ses occupants. Moyennant de se déculpabiliser de mettre deux parenthèses de part et d’autres de cette étrange vie de pigiste qui ne sait jamais si le mois à venir sera fait des mêmes ressources que le précédent, et moyennant quelques économies – celles, justement, des bons mois.

Cela fait sept ans, presque, que ce rêve-ci traine dans ce grand carton à l’odeur doucement vieillie, comme celle des vieux placards du grenier. Il est né, comme tous les autres, de presque rien, et comme beaucoup, d’une mélodie entêtante, napée de cette langue intacte de son passage à travers onze siècles. C’est bien dans ce Vidrar vel til loftarasa, mais très précisément dans cette incroyable version, que la voix de Jonsi, les cordes d’Amiina et tout Sigur Ros, ont scellé le rêve de l’Islande.

Quelques clics avaient vite permis de voir que la source d’inspiration officielle des ces hymnes post-rock de ma post-adolescence étaient les geysers, les chutes d’eau, les étendues cabossées de cendres et les falaises sans fin d’une île qui avait eu la riche idée d’émerger en Scandinavie et de faire pousser des maisons multicolores dont les toits titillaient chaque hiver des aurores boréales. Autant d’éléments bien vissés au fond de la boîte à rêve. Et qui n’y étaient que mieux retournés après en être sortis pendant une année finlandaise.

Le rêve islandais ne se conjugue qu’ainsi.  Une musique dont la lenteur et la mélancolie inspirent aux uns autant de tristesse qu’elles me donnent, à moi, un sentiment de plénitude. Ce sentiment dont j’ai l’intime conviction qu’il ne se réalisera qu’entre une saga, un mythe elfique et quelques mots en -vir et en -ur, captés dans une conversation saoule sur un trottoir de Reykjavik. Entre un cratère, un glacier, deux kilomètres parcourus sur l’asphalte de la route 1 et le bruit incessant des graviers noirs sous mes semelles.

Sept ans c’est long pour entamer un voyage. L’Islande a l’utopie tenace. Un jour, elle ne prévient pas, elle décide de quitter sa boîte. Mieux vaut alors l’attraper en vol.