Même Dubai

Posted on 13 août 2015

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Ca ne fait que commencer, à peine, et on ne voit ni comment ni quand ça pourrait s’arrêter. Même la nuit, les grues gravitent et les marteaux-piqueurs picorent, transforment cette terre pour en changer le devenir. Rien ne prédestinait ce bout d’Arabie brûlant et sec, aride et désertique, à muter en capitale mondiale du luxe et de l’argent – l’objectif est affiché. Rien, sinon évidemment le pétrole, le gaz et le goût immodéré de ses émirs pour le brillant, le grandiloquent et le toujours plus. Un goût qui recouvre chaque jour Dubai d’un uniforme universel, au point de se demander s’il restera ici quelque chose d’Arabie d’ici quelques décennies.

Car à regarder les ensembles de grattes-ciel qui poussent, qui à la Marina, qui autour des malls, ces centres commerciaux autour desquels s’organise la vie sociale de l’émirat, entre enseignes de luxe et attractions genre aquarium géant, difficile de trouver une singularité architecturale à ce territoire qui pourtant ne cesse de bâtir depuis trente ans. Si ce n’est quelques toits surmontés de dômes rappelant ceux de mosquées, la norme ici est à la tour d’acier et de verre, aux formes déjà vues partout à travers le monde. La folie en plus, sur la Bourj Khalifa et ses 828 mètres de haut qui la placent sur le toit du monde, en attendant que la Kingdom Tower de Jeddah ne vienne la détroner d’au moins 200 mètres.

La Burj Khalifa, tout en mesure, au milieu de travaux ininterrompus.

La Burj Khalifa, tout en mesure, au milieu de travaux ininterrompus. Photo : Coline Herbomel-Ringa.

Ici, la ville semble déjà avoir pris le dessus sur tout. Hormis quelques palmiers en bordure de routes, la nature est inexistante, certes pas favorisée par les 45 degrés ambiants pendant une bonne partie de l’année. En portant le regard au loin, les formes incertaines ne sont pas celles des mirages du désert, mais d’un prochain ensemble de tours, qui se camoufle systématiquement derrière un voile de brume. Même la Burj Khalifa n’est pas visible à moins de 100 mètres. J’aimerais croire que c’est le sable du désert qui remonte. Plus probablement la pollution lâchée par le flot incessant de voitures qui bariolent la ville ininterrompue.

Eldorado asiatique

Dans ces immeubles, de la réception des hôtels de luxe aux couloirs des malls, ce qui frappe dès les premières minutes, c’est le cosmopolitisme de la population qui les occuppe. L’émirat est devenu en quelques années un eldorado asiatique, attirant essentiellement des travailleurs du sous-cotinent indien ou d’Asie du sud-est, alléchés par des salaires très confortables et probablement des perspectives de carrière, dans ce lieu où tout est à faire.

Le temps de trois trajets en taxi, difficile de savoir s’il fait bon vivre pour ces nouveaux expatriés : les chauffeurs, indiens ou pakistanais, sont prêts à faire causette, mais leur anglais est soit trop dur à comprendre pour une oreille non habituée à cet accent si particulier, soit trop limité. « Il y a de bons et de mauvais côtés à vivre ici » faudra-t-il se contenter de glaner auprès de l’un, orginaire du Kerala, qui trace depuis six ans des allers-retours le long de l’autouroute qui sert d’avenue principale entre les ensembles de buildings.

Aquarium geant au Mall of the Emirates. Photo : Coline Herbomel-Ringa.

Aquarium geant au Mall of the Emirates. Photo : Coline Herbomel-Ringa.

Seulement un coup d’oeil

Bien sûr, Dubai affiche encore son arabité. Les dishdash blancs et les keffiehs pour les hommes, les ayabas noirs et les niqabs – en bas desquelles il n’est pas rare d’appercevoir des sneakers dernier cri – déambulent partout. Bien sûr, on respecte ici l’islam né quelques centaines de kilomètres plus à l’ouest, le vendredi et le samedi font office de week-end, l’alcool est difficile à trouver. Bien sûr, tout est écrit en arabe. Mais déjà, tout est sous-titré en anglais. Et tout se dit en anglais : inutile de recourir à ses rudiments d’arabe dans une conversation, tout « marhaba » ou « ahlan » semble voué à n’avoir pour réponse qu’un « hello ».

Qu’on s’entende bien, il ne s’agit pas ici de juger, surtout en une demi-journée. Je ne connais rien de Dubai, ses codes, son fonctionnement, sa mentalité. Il ne s’agit pas non plus de dire que j’attendais de l’émirat autre chose que ce que j’en ai vu. Simplement de souligner à quel point, en un coup d’oeil, ce lieu apparaît asceptisé et sans émotion, emmené par l’argent tout puissant.

Rien ne justifiait à priori un carnet à Dubai. Ville étouffante, valeurs insondables, nature invisible, temps d’observation ultra-furtif. Rien,sinon le sentiment immédiat qu’il se passe ici quelque chose et qu’on ne peut pas passer à côté. Quelque chose perçu aussi vite que poussent les tours dans le désert. Même Dubai, étape sur la route de l’Indonésie, peut donner une occasion aux Carnets, le temps d’une escale. Ces voyages à escale qui révélaient, il y a deux ans sur la route américaine, leur charme. Et qui, à défaut de charme, montrent cette fois qu’ils ne laissent jamais indifférent.

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Posted in: Carnets d'Orient