Ils sont libanais, israéliens ou chypriotes grecs. Ils sont juifs, chrétiens orthodoxes ou maronites, musulmans chiites ou sunnites. Ils vivent dans trois cultures différentes, trois pays et trois conflits. Des conflits qui n’ont rien à voir.
Tout les sépare, presque. Car ces conflits se sont tous les trois déclenchés dans la deuxième moitié du vingtième siècle: en 1948 en Israël, en 1974 à Chypre, en 1975 au Liban (malgré l’arrêt des combats en 1990, les tensions entre communautés sont toujours vives) Et, âgés de 18 à 33 ans, ces jeunes sont tous nés après un conflit dont ils se retrouvent les héritiers involontaires.
C’est ce qui peut permettre de les rapprocher et de croiser leur témoignages. Hériter de la guerre, s’approprier un clivage dont on n’a pu être le témoin, se forger sa propre opinion, mais pas complètement par soi-même. Voilà ce qui pourrait relier ces dix jeunes, encore ados, déjà adultes.
Je les ai rencontrés durant l’été 2009, au fur et à mesure des Carnets d’Orient, entre Beyrouth, Jérusalem ou Nicosie. Je leur ai posé à chacun les quatre mêmes questions: que vous ont dit vos parents, que vous a-t-on appris à l’école, comment percevez-vous la haine de l’autre, quelle solution pour cette guerre.
Le premier épisode est consacré au premier héritage de la guerre qu’ils ont connu, celui que leur ont transmis leurs parents. Voici leurs paroles, émues, timides, lucides, jamais complètement indifférentes.
Ils parlent de leur guerre
Georges Anthonio est chrétien maronite et étudiant en science politique à Beyrouth. Il rêve de partir étudier en France à Science Po Paris. Et adore parler politique, débattre de l’avenir de son pays, de la façon de le gouverner, mais toujours en « respectant » l’autre. Comme les autres libanais du diaporama, je l’ai rencontré via un ami.
Shadi est musulman sunnite. Il travaille pour Greenpeace à Beyrouth. Il a grandi à Damas en Syrie, jusqu’en 1990, date de la fin de la guerre où il rentre au Liban. Il n’est absolument pas pratiquant, mais est forcément marqué par sa religion, comme tout le monde au Liban.
Farah est musulmane chiite. Elle pratique sa religion, mais à sa façon. Elle vit dans la banlieue su de Beyrouth, bombardée en 2006 par Israël, car le Hezbollah y est omniprésent. Refuse de porter le voile. Elle étudie les sciences politiques et le droit à Beyrouth. Elle a un blog, où elle dit ce qu’elle pense.
David vit à Jérusalem, il vient d’avoir son bac et va commencer la fac. Kippa sur la tête, il est assez pratiquant, défend le droit d’Israël à exister, mais se veut tolérant envers les Palestiniens. Je l’ai rencontré par hasard un soir, avec ses copains, rue Yoel Solomon. Ils étaient très pressés de rejoindre leur soirée, mais David a bien voulu m’accorder quelques minutes.
Irit vient de Yavné, au sud de Tel-Aviv. Elle vient d’effectuer ses deux ans de service militaire, où elle a passé son permis de conduire pour… camion. Elle s’apprête à rentrer à la fac. Je l’ai rencontré lors d’un grand déballage- coup de pub de Tsahal rue Yoel Solomon. Elle est la seule soldate qui ait accepté ce jour-là de se faire enregistrer et prendre en photo, et je l’en remercie.
Or est prof d’hébreu pour les étrangers, à Jérusalem. Il fait d’autres petits boulots, et prête notamment sa voix grave à des messageries vocales. A 33 ans, il est le plus âgé de tous les interviewés, et son point de vue sur l’échec des négociations de paix depuis 1993 (il avait 17 ans) donne une autre perspective au reportage. C’est lui aussi un ami d’ami, qui en plus offre sympathiquement l’hospitalité dans sa colocation de Jaffa.
Cristina a grandi à Chypre mais vit désormais à Londres, où elle a trouvé un job dans une agence financière après ses études. Sa collègue de bureau est.. chypriote turque. C’est la nièce d’une amie.
Christos est serveur du Starbucks Coffee de la rue Ledra de Nicosie, la seule artère qui relie la partie turque et la partie grecque de la ville. Dans la vie il ne se prend pas la tête, et reste optimiste sur la possibilité de trouver un accord entre les deux entités.
Maria est la patronne de Christos au Starbucks Coffee de la rue Ledra. Elle n’aime guère les Turcs, et ne croit plus à rien. Et défend ses arguments.
Andri commence des études d’art. Elle faisait des photos avec des amies dans les rues de Nicosie, et j’ai échangé quelques minutes de figuration contre quelques minutes d’interview.
A suivre
Dans quelques semaines, les Carnets Ephémères proposeront le second épisode, les jeunes de Chypre, d’Israël et du Liban diront ce qu’ils ont entendu de la guerre sur les bancs de l’école.
N.B: merci à Berthe et Cyrille pour la traduction d’Andri.
N.B: ce diaporama a été fait, encore une fois, avec les moyens du bord: un dictaphone et un appareil photo numérique. Ce qui explique, à défaut d’excuser, sa qualité parfois discutable. En espérant que ça ne dissuade pas de le regarder (et de l’écouter).
ln
17 mai 2010
oui, enfin, on était impatients de lire ces interviews.
Bravo, c’est émouvant
Les Princesses Ne Pleurent Jamais
27 août 2010
c’est vrai qu’on voyage autant qu’avec Nicolas Bouvier ici…