Sept mille ans d’histoire. Sept mille ans de culture, de cultures. Le Liban ne se contente pas d’héberger mille contrastes, mille paradoxes. Ce minuscule bout de terre abrite aussi des lieux où bat le cœur qui oxygène l’histoire du monde. Parmi lesquels Byblos (Jbeil en arabe). Une ville jamais inhabitée pendant soixante-dix siècles. Et une ville où les Phéniciens inventèrent, il y a 5000 ans, les vingt-deux signes du premier alphabet. Qui donneraient naissance au premier livre. D’où, d’ailleurs le nom de la ville : Byblos, donné par les Grecs, renvoie à biblion, le livre dans la langue de Socrate. Byblos, ville inconnue pour beaucoup et pourtant, nous prononçons son nom tous les jours.
Difficile de ne pas avoir hâte, samedi matin, de quitter Beyrouth pour aller m’aventurer 37 kilomètres au nord de la capitale dans ce lieu mythique. Le chemin jusqu’à Jbeil n’est pas parsemé des rebondissements qui m’ont mené tant bien que mal à Beittedine la semaine passée. Un taxi, un bus, une heure de trajet, presque facile. Soit dit en passant, merci à l’ado aux cheveux gominés qui m’a indiqué que, l’arrêt pour Byblos, c’était bien ce pont entre deux bornes d’autoroute. Sinon, j’étais probablement bon pour continuer jusqu’à Tripoli.

Château des Croisés a Byblos.
Chou ?
Je descends du pont et je tombe dans la ville moderne. Beurk. Il est 13 heures, la température en conséquence. Le plan du guide est particulièrement mal fait, j’erre à droite, à gauche, puis à encore droite, je reviens sur mes pas, hello-do-you-speak-english ?, no, français ?, non plus, I’m looking for the ruins, chou? (« quoi ? »), the ru-ins. A vrai dire je ne suis pas fichu de le prononcer correctement non plus. J’opte pour « old town » et pour en demander la direction a une Libanaise comme le Levant sait en faire, grande, brune, légère, ce qu’il faut de grâce. Et le sourire, comme tous ses compatriotes.
Je débarque dans le souk de Jbeil. Petite rue pavée, maisons basses, mais rien de l’image que l’on se fait d’un souk en Occident. Juste un alignement de magasins, bien propres, bien rangés et surtout, qui vendent du souvenir kitch et des produits pseudos libano-authentiques, à la pelle. Mieux vaut lever la tête vers les portes ottomanes, la tourner vers les terrasses des cafés enfouies sous les porches, poser le regard étonné sur ce petit vieux qui fume lattes sur lattes de son narguilé comme si c’était la seule distraction de sa journée, le laisser divaguer sur la place principale où une fontaine orientale côtoie des fragments de colonnes romaines, étrangement séparés du site archéologique pourtant planté quelques mètres a côté.

Vieilles rues pavées du vieux Jbeil, aux abords du site.
Parce que, ce que je suis venu voir, en bon touriste, c’est avant tout ça. Les ruines de Byblos, le témoin de cette histoire millénaire ininterrompue. Je m’étais bien gardé de me renseigner auparavant sur ce qui m’attendait, je préférais découvrir tout sur place. Du coup, le château moyenâgeux (1108), construit par les Croisés, qui domine le site me surprend. Je m’attendais à des temples, à Rome et Athènes, quelques bains et poteries. Des «ruines » quoi. Mais Byblos n’a pas seulement vécu sept mille ans d’histoire, elle les a vécus au même endroit. Et sur quelques centaines de mètres carrés, qui s’ouvrent, forcément, sur la mer, se côtoient les restes d’une forteresse perse (550-330 avant J.C), un nymphée romain, un temple dédié à Rechef, dieu égyptien de la guerre (XVIe siècle avant J.C), un amphithéâtre romain (IIIe siècle) amputé des deux tiers de ses gradins pour les besoins des fouilles commencées au début du XXe siècle. Les Mamlouks ont construit par dessus les Romains, les Grecs par dessus les Phéniciens, les Ottomans par dessus tout le reste. En une heure et demie de visite, c’est toute l’histoire du monde qui défile. Alexandre le Grand, Saladin, Guy de Lusignan sont passés par Byblos. C’est Ernest Renan qui, le premier, remarquera leurs traces en 1860.

Morceau de Rome, au milieu du melting-pot de l'histoire.
Dommage ceci dit, que les ruines soient si mal entretenues. La végétation pousse entre les pierres, et si le crissement obsessionnel des cigales -presque nécessaire à toute visite antique- m’envoute, le pullulement des plantes entre chaque vestige gâche un peu le plaisir. Pour se repérer à a Byblos mieux vaut avoir un guide à la main pour être sûr de l’époque à laquelle on fait face. Reste que je ne ressors pas indemne de ma promenade historique.
Hariri et Jésus
Trêve de méditations, il est 16 heures, mon estomac me le rappelle. Je commets l’erreur de m’arrêter au premier restaurant à coté du site, cher (tout reste relatif au Liban) et mauvais. Je commets la seconde erreur, pourtant partie d’un bon sentiment, de commander une salade. Ce n’est qu’au moment où on me la sert que je me rappelle la consigne « crudités= risque de tourista », ce qui me vaudra de scruter, inquiet, les moindres mouvements de mon estomac pendant une bonne heure. Mais l’avantage de l’attrape touriste aseptisé c’est qu’il est adapté, justement, au touriste.

Sic.
Je poursuis ma découverte de la vielle ville de Byblos, charmante si on omet le kitsch de ses magasins. Ici on vend des icônes sur pierre et Rafic Hariri côtoie Jésus, là on prétend détenir des fossiles cent fois millénaires. Dans l’église Saint Jean-Baptiste, bâtie par les Croisés et désormais chrétienne maronite, les pierres ont gardé une fraicheur bienvenue. A droite de la nef, une veille femme récite des prières, reprises en cœur par un une dizaine de croyants. C’est bien la première fois que je vois une femme prêcher. Je débouche sur le vieux port de Byblos. Les remparts antiques y dominent une eau où flottent beaucoup trop de déchets contemporains. Et quelques bateaux de pêche. En continuant mon chemin, je crois rêver.
Une plage. Des petits galets, étendus sur deux ou trois centaines de mètres et à première vue un accès libre. Parce qu’au Liban, du moins à Beyrouth, la baignade se paye. Minimum dix euros pour accéder à des plages privées et pour se baigner, la plupart du temps, dans des piscines d’eaux salées au bord de la mer. Génial. Ca fait deux semaines que je suis ici, et du coup, je n’ai toujours pas mis un pied dans la Méditerranée. Je me rappelle, avant de partir au Liban, avoir sardoniquement nargué mes compatriotes sur le thème « et moi au mois d’août, j’irai me baigner tous les soirs après le boulot». Loupé.

Le vieux port (et ses détrituts).
Usage du monde
Byblos m’offre une occasion de me rattraper et je ne la manque pas. La Méditerranée ne se refuse pas. Elle est chaude et crémeuse, presque suave, elle est ondée des vagues émises par les yachts des Libanais fortunés qui se la ramènent le long de la côte, son sel brûle les yeux dès que l’on veut regarder son intimité et ses écumes flirtent avec les derniers rayons du soleil. Je m’allonge sur la plage, j’entame L’usage du Monde de Nicolas Bouvier, je me demande si je voudrais être ailleurs, là, à ce moment précis. Non.
La nuit tombante me ramène à la réalité libanaise. Après 20 heures, les bus et les taxis, ce n’est plus la même chose. Je demande à la serveuse du bar de la plage le chemin vers le point d’arrêt des bus pour Beyrouth. Elle m’explique, je ne visualise pas, elle prend un papier et commence à dessiner un vague plan. Puis hèle trois types qui passent par là et que, visiblement, elle connait. Ils sont égyptiens, eux aussi sur le point de rentrer à Beyrouth. Et m’invitent à les suivre.
L’un des trois, Saad, bredouille l’anglais, une centaine de mots. Au bout de cinq minutes, je n’ai toujours pas compris s’ils me ramenaient dans leur voiture ou si eux aussi, prenaient le bus. Première option, je ne monte pas avec eux, pas la peine de prendre des risques inutiles, même s’ils m’inspirent tout à fait confiance. Deuxième option, je les suis. C’est celle qu’ils chosissent. Et je me trouve un compagnon de route pour le retour.

C'est un peu flou (depuis le bus), mais c'était juste beau.
Ce qui a résulté de mon échange avec Saad agrémentera le prochain carnet, et se mêlera à d’autres rencontres libanaises. Car Saad m’a beaucoup appris et mérite une longue place ici.
Sa rencontre m’a rempli d’énergie, mais l’énergie venait aussi de Byblos. Si j’ai bien compris une chose dans cette escapade, c’est que le Liban que j’aime est un Liban qui s’arpente de villes en villes, le long de la côte, dans les montagnes, dans les rues périphériques des villes. Un pays et sa route en somme. Ça tombe bien : au Levant et au-delà, la route, c’est le programme principal jusqu’à mi-septembre.
diserens
27 août 2010
Merci pour la visite, on voyage autant qu’avec Nicolas Bouvier…..