Escapades dans les montagnes du Levant

Posted on 14 août 2009

1


De l’air. Après dix jours à Beyrouth, le besoin de respirer s’impose. C’est vu,  mon deuxième dimanche libanais sera un dimanche d’excursion. Le problème avec le Liban, c’est que ce pays regorge de coins de paradis, de ruines mystérieuses, de montagnes propices a la rêverie, et j’en passe. Trop dur de choisir. Après une heure d’hésitation, je m’en remets au Lonely Planet, qui place Beiteddine dans son top 15 des lieux à voir : Liban et Syrie confondus. Si ça ne vaut pas le coup…

Au Liban, le tout n’est pas de vouloir aller quelque part, encore faut-il y pouvoir s’y rendre. La première étape se joue assez facilement, un taxi m’amène à la Cola Station, point de départ des bus vers le sud du pays. Je claque la porte du véhicule, et, l’espace d’un instant, je me dis que je viens de me faire arnaquer. Mais non, la Cola Station, c’est bien ce parking au bord de l’avenue où je viens de débarquer. Pour les guichets et les indications, on repassera, merci. Pour les bus qui vont Beiteddine aussi, parce que le dimanche, il n’y en a pas. C’est comme ça.

Le palais de Beiteddine, but de l'escapade.
Le palais de Beiteddine, but de l’escapade.

« This is Lebanon »

Mais les Libanais, on ne les change pas. Je demande à un chauffeur de taxi, qui me propose de m’emmener pour vingt dollars. Je refuse, mais son collègue à coté me fait signe de le suivre. Il demande à un autre type, qui demande à un autre type, qui demande encore un autre. Le tout évidemment en arabe. Je donne l’air de suivre les transactions, mais évidemment je ne comprends rien. Transactions qui débouchent sur deux types parlant vaguement anglais dont, chance, un chauffeur de bus. « Deux mille livres (1 euro) pour Damour ». Certes, le nom est joli, mais moi je veux aller à Beiteddine. Je sors mon seul allié (le Lonely Planet) : Damour est sur le chemin de Beiteddine. Au pire, ça me rapprochera.  « So after Damour, you bring me to Beiteddine? ». « Yes, good, good ». Dans le doute, j’accepte (un oui au Liban peut être un oui de politesse, et ne veut pas forcément dire oui). L’autre anglophone, un passager, me regarde, l’air  malicieux et me dit : « What is this ? …This is Lebanon ». Effectivement. Ca tombe bien, dans le fond, c’est aussi ce que je suis venu chercher ici. Et j’adore ça.

Les montagnes de la région du Chouf, au sud de Beyrouth.
Les montagnes de la région du Chouf, au sud de Beyrouth.

Queue de poisson, klaxon, dépassement par la droite, zig zag permanent. La conduite à la libanaise est une discipline à part. Le tout dans un bus (en fait, les bus ici sont des minis vans), à 100 km/h. Et sans ceinture, évidemment. J’évite de penser que je peux mourir à tout instant. De toute façon, ça ne changera rien… Etrangement, comme tout le monde conduit de la même façon, il y a très peu d’accidents.

Un quart d’heure d’autoroute plus loin, le chauffeur ralentit subitement et s’arrête pile sur un embranchement. Je devine un panneau « Festival de Beiteddine »,  qui indique la droite. Par contre, je n’ai pas deviné que c’est là que je descends, parce que Damour, c’est dans l’autre sens. Là, au milieu de l’autoroute, sur une voie de bifurcation ? Oui. This is Lebanon, hmm…

Adossé sur la barrière de sécurité, j’attends une vingtaine de minutes, avant qu’un taxi finisse par s’arrêter et m’emmener à Beiteddine. Après une heure et trois transports, tout arrive.

Cour qui mène aux appartements pives de Bachir.
Cour qui mène aux appartements pives de Bachir.

Enfants de Palestine

Beiteddine, c’est un village des montages libanaises qui abrite un palais ottoman construit au XIXe siècle par l’émir Bachir II Chéhab. Lui-même. Et il avait bon goût. Le palais est réputé pour être un des plus beaux exemples d’architecture ottomane du Liban. Les trois cours alternent le majestueux et l’intime. Les volutes qui s’entortillent à n’en plus finir au dessus des portes renvoient jusqu’aux portes de l’Andalousie. Les divans des salles de conseil sentent encore le narguilé des longues délibérations. L’eau des fontaines murmurerait presque Babylone. Au fond d’un dédale de salles de bains, chauds ou froids, même les cuisines intriguent. Je sors dans les jardins, je contemple les montagnes qui se découpent sur le Chouf. Je m’arrête devant la collection de mosaïques, certaines sont parmi les plus anciennes de la région.  Envie de ne plus partir.

Jardins de Bachir, il y a pire.
Jardins de Bachir, il y a pire.

En rebroussant chemin, je passe dans une antichambre du palais qui accueille une exposition singulière. Une ONG a distribué 500 appareils photos jetables à 500 gamins des camps palestiniens du Liban (il y aurait jusqu’à 400 00 réfugiés dans le pays). Une cinquantaine de clichés racontent la vie comme ils la voient. Il n’y a pas besoin de maîtriser la balance des blancs pour faire une photo émouvante.

Après un quart d’heure d’allers retours sur le parking qui borde le palais, toujours pas de taxi. Le taxi au Liban, c’est un principe assez simple : quand vous n’en avez pas besoin, il y en a deux par minutes pour vous klaxonner, par contre quand vous en cherchez un, vous pouvez toujours attendre. Un peu lassé et avec l’envie de continuer à rêvasser en regardant le paysage défiler sous mes yeux, je décide d’entreprendre à pied la route qui relie Beiteddine à Deir El Qamar, un village voisin, qui, c’est toujours le guide qui le dit, vaut le coup d’œil lui aussi. Mauvaise idée. Parce qu’avec un trafic d’environ dix voitures par minutes, mon heure de marche bucolique autour des montagnes manque de m’asphyxier.

Chameau pour touriste.
Chameau pour touriste.

Labyrinthe

Je finis par atteindre Deir El Qamar, mange un charwarma pour un euro cinquante histoire de me remettre d’aplomb. Suit une heure de promenade dans ce minuscule village, qui compte 2500 habitants et pas moins de dix édifices religieux, églises maronites et grecques-orthodoxes, mosquées, et même une synagogue, qui n’est plus utilisée aujourd’hui (les juifs encore présents au Liban se comptent sur les doigts de la main).

Les églises sont un peu kitch, mais c’est bien ce qui fait leur charme. Presque collées les unes aux autres, elles sont séparées de ruelles minuscules qui serpentent le long de la roche sur laquelle elles sont bâties. Je laisse mes pas me perdre dans ce dédale labyrinthique, croise quelques habitants qui ont toujours un mot gentil pour l’étranger en visite, regarde encore la montagne du Levant. Le bruit des klaxons et des voitures, qui polluent même la place principale du village à quelques mètres, s’est tu. Les pierres jaunes et massives de Deir El Qamar en ont eu raison. Je remonte le retrouver et surtout regarder les palais construits par les prédécesseurs de Bachir II. Dans lesquels je n’aurai pas le temps de rentrer. La nuit approche, et la nuit, les taxis se font bien plus difficiles à trouver.

La place principale.

La place principale et ses deux palais.

DSC03057

Je termine ma journée comme je l’ai commencée : le chauffeur de taxi que j’arrête n’a pas de place mais va demander à son vieux collègue,  qui tient aussi une épicerie -avec ce qu’il faut de bazar- à l’entrée du village Deir El Qaram. D’accord pour aller Beyrouth mais c’est vingt-cinq dollars. Dix minutes plus tard, je suis parvenu à baisser le prix à vingt dollars, j’abandonne les négociations. En voiture, pépé.

Ruelles de Deir el Qaram.
Ruelles de Deir el Qaram.

Comme ça a commencé ou même pire. Mon chauffeur, qui roule dans une Mercedes cru 1970 qui a fermenté tout ce qu’il fallait depuis, est un Fangio à  la retraite. En dix minutes de descente, il double vingt voitures. Y compris quand un véhicule arrive en face,  y compris dans les virages. Je cherche la ceinture qui, évidemment, a disparu depuis belle lurette.  A chaque dépassement, il se retourne vers moi, avec un petit ricanement qui laisse poindre l’unique dent de sa mâchoire inferieure. S’exaspère comme si sa vie en dépendait au moindre ralentissement. Le tout en chantonnant quelque chose qui ressemble à du Baschung, mais je doute qu’il fasse vraiment un hommage à Bleu Pétrole. Et il me fait finalement bien rigoler.

Quelques crissements de pneus plus tard, il me dépose à Beyrouth. Je suis épuisé, sale, mais juste content. Parce que partir se promener au Liban, c’est l’occasion de voir ce pays mais surtout de le vivre. C’est sans doute le plus important.

Publicité
Posted in: Carnets d'Orient