C’est toujours mieux de se rendre sur place pour comprendre une réalité. Et de profiter de cette halte d’à peine vingt-quatre heures à Chypre pour voir où en sont les relations entre Chypriotes grecs et turcs. Ou plutôt, où elles n’en sont pas.
Il y un an pourtant, en avril 2008, les choses semblaient s’améliorer. Le président chypriote grec nouvellement élu, Dimitris Christofias, et son « homologue » ( la République Turque de Chypre n’a été reconnue que par la Turquie et.. la Biélorussie) Mehmet Ali Talat, s’étaient entendus pour ouvrir le checkpoint de la rue Ledra. Décision historique, puisque pour la première fois depuis 1974, Nicosie n’était plus complètement coupée en deux.

Une rue rouverte vaut mieux qu'un checkpoint de l'ONU.
Levki, une amie, m’amène sur place, avec son fils et sa nièce. J’étais là il y a trois ans et effectivement les choses ont changé. Le poste de l’ONU a disparu, remplacé par quelques douaniers chypriotes grec pas très regardants. Une chaise en plastique et un ruban, qui ne fait pas la largeur de la rue, font office de barrière. Un vague coup d’œil sur mon passeport, et je peux m’engager dans la suite de la rue Ledra.

Passage assez cool depuis la partie grecque.
Sur cinquante mètre, on ne sait pas très bien dans quel pays on est. Sensation étrange. Au bout de ce sas, les douanes chypriotes turques. Et là ça rigole beaucoup moins. Impossible de pénétrer dans l’autre Nicosie sans monter patte blanche. Impossible également d’obtenir un tampon sur une feuille volante. Je négocie, la douanière n’est pas forcément désagréable, mais la consigne c’est la consigne. Et surtout, pour le Chypre Turc, obliger tous les touristes à se faire tamponner leur passeport, c’est un moyen de se donner une légitimité politique qu’ils n’ont pas. Je refuse de participer à cette mascarade, et qui plus est, je risque déjà d’avoir assez d’ennuis avec ces fichus tampons plus tard (i.e avec un tampon libanais à la frontière israélienne), mieux vaut donc ne pas se compliquer la tâche. Note pour plus tard : regarder ce que pense Israël de Chypre Nord. Note pour ceux qui passeront un jour par là : si vous êtes citoyen de l’UE, dîtes que vous n’avez pas de passeport, présentez votre carte d’identité, ils font moins les malins pour la tamponner, et ça marche.

Douanes chypriotes turques, négociations inutiles.
En tout cas, aujourd’hui, on passe de la partie grecque à la partie turque, si on le souhaite. Du coup, m’explique Levki, des Chypriotes grecs vont dans l’autre partie de l’île faire leurs courses, ça coûte beaucoup moins cher (de plus, l’euro, introduit dans la partie grecque en 2008, a fait augmenter l’inflation). Résultat, pour les Chypriotes grecs, cette ouverture ne semble pas avoir beaucoup d’effets positifs. Comme beaucoup, Levki refuse d’aller dans l’autre partie de l’île : « je ne supporte d’avoir à montrer mon passeport pour circuler dans mon pays ». Il est très difficile d’évoquer le conflit avec les Chypriotes grecs, notamment ceux qui ont vécu l’invasion de l’armée turque en 1974. La veille, quand je lui demandais son avis sur l’évolution de la situation, le chauffeur de taxi qui m’amenait de Larnaca à Nicosie me répondait laconiquement « ils ont pris ma maison, ont chassé ma famille, et maintenant ils veulent qu’on se parle ? Sûrement pas ».

Parfois, les légendes de photos sont inutiles.
« Ca prendra des années de trouver une solution, on a essayé depuis cinq ou six ans, mais les plus âgés savent ce qu’il s’est passé, ils ne changeront pas d’avis ». Cristina est Chypriote grecque. Elle a 22 ans et travaille à Londres depuis trois ans. Elle raconte comment elle a grandi avec le conflit : « mes parents étaient ouverts d’esprit, ils ont été honnêtes et ont su faire la part des choses. Mais quand j’étais à l’école, à force d’entendre l’histoire de l’invasion en 1974, d’écrire des dissertations dessus, j’ai fini par penser, comme beaucoup des enfants de ma génération, que les Turcs avaient été très cruels ». Forcément, quand on est gamin, on a facilement des opinions toutes faites : « oui, j’ai vu et entendu de la haine envers les turcs » ajoute Cristina.
Mais selon elle, c’est sa génération qui a la solution. « Maintenant qu’on a grandi on essaye de faire la part des choses. La partition de l’île, ce n’est pas la faute des chypriotes turcs de mon âge ». Et de reconnaître : « quand on rencontre des chypriotes turcs de notre génération, on peut changer d’avis ». D’ailleurs, dans son agence de comptabilité à Londres, elle partage son bureau avec une chypriote turque. Elle avoue que ça lui a fait bizarre au début, mais qu’elles se sont assez vite bien entendus. En communiquant en anglais, bien sur, puisque c’est la seule langue commune de Chypre. Et surtout, en n’évoquant pas le sujet : « je n’ai pas envie qu’on se fâche ». Pour trouver la clé de ce conflit regrettable, il faudra pourtant bien réussir à en parler.
Plus d’info:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Chypre_du_Nord
http://fr.wikipedia.org/wiki/Chypre_(pays)
Sancho Singh
3 août 2009
Merci pour ce petit aperçu de Chypre un an après les élections. En attendant impatiemment des nouvelles de Beyrouth… Bon courage avec la chaleur, on compatit
Ivan
5 août 2009
Comme Sancho Ramirez Alvarez de la Vega de los Campos, j’attends des nouvelles de Beyrouth. Il doit bien y avoir 10 000 petites et grandes histoires à raconter.