Voir Pétra et puis …

Posted on 11 septembre 2009

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J’ai régulièrement mis à  l’épreuve la théorie qui consiste à dire que plus on attend d’une œuvre d’art d’être émouvante, suivant les commentaires qu’elle suscite, plus on attend d’un moment de notre vie qu’il soit exceptionnel, suivant des critères bien personnels, plus on risque d’être déçu tant notre exigence est accrue. Jusqu’à ce mardi 1er septembre, je crois que seul Abbey Road, Into the Wild ou les aurores boréales de Laponie avaient contredit cet adage. Désormais, il y aura également Pétra. Et les deux jours d’émerveillement qu’elle m’aura procuré.

Le désert le long de la route du Roi.

Le désert le long de la route du Roi.

J’étais arrivé la veille au soir à Amman depuis Damas, trop tard pour voir une ville dont, justement je n’attendais rien, puisque, justement, je n’avais entendu de la capitale du royaume hachémite jordanien que des mots très fades. Pas de regret de n’y passer qu’une nuit. Pas de regret non plus de  me lever très tôt le lendemain matin car j’attrape le bon bus. Celui où je rencontre Maria, 35 ans, une routarde espagnole. Elle vit à Londres ou elle a repris des études pour devenir travailleuse sociale. On discute une bonne heure, de la route, du voyage seul, de la Jordanie. Le paysage défile et le désert se précise au fur et a mesure que les kilomètres nous enfoncent toujours plus au sud. Le long de la route, le sable se fait plus présent et plus rouge aussi, les rochers plus imposants, les traces des hommes s’espacent progressivement.

Le siq.

Le siq.

En descendant du bus à Wadi Musa, le village attenant au site de Pétra, nous rencontrons Kara, 24 ans, Ohio. Elle vient d’arriver en Jordanie, où elle passe quelques jours avant d’aller en Israël. Les sacs sont déposés à l’hôtel et l’équipe de trois vite formée. Il est 13 heures, nous partons en découdre avec les Nabatéens, la civilisation (un peu trop oubliée par l’histoire) qui a bâti ce site irréel.

Palettes de rouge

Pétra c’est d’abord un long canyon, le siq, qui se découpe entre des rochers aux formes généreuses, ondulées et cabossées à la fois, dans une roche lissée par le temps. Elle est aussi poreuse, trace sans doute de la rivière qui y coulait et que les Nabatéens ont détournée au premier siècle avant Jésus Christ, pour faire du siq un sas d’accès à la ville. Sas long de plus d’un kilomètre, étroit d’à peine dix mètres et très profond. Et donc parfait pour défendre la cité, sur laquelle Alexandre le Grand, les Romains et bien d’autres se sont cassé les dents.

Le Khazneh.

Le Khazneh.

Quelques minutes dans le siq suffisent déjà à être comblé, mais lorsque celui débouche, presque par surprise, sur le Khazneh, le très fameux tombeau du Trésor, je prends la vraie mesure de ce que je suis en train de voir. Cet immense tombeau taillé  dans une roche qui réunit toutes les palettes de rouge, marque de façon solennelle l’entrée dans les merveilles nabatéennes. Chaque minute est un émerveillement nouveau devant cette montagne taillée, cette montagne du désert qui borde Petra, la couve comme une enfant prodige et lui offre en périphérie des paysages qu’aucun peintre n’aurait osé imaginer Le théâtre, les tombes royales, les chemins escarpés qui mènent en haut du Khazneh ou au haut lieu du Sacrifice…Pétra ne s’écrit pas, elle se voit. Elle offre sans mal un spectacle immense à son visiteur, et l’invite a méditer la beauté du monde quand l’homme sait s’accorder si parfaitement avec la nature. A soir du second jour, je termine mon escapade avec Maria en haut de la montagne du monastère. Devant nous, le désert de Wadi Araba, Israël et le soleil qui se couche.

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Ces deux jours ont aussi donné une autre tournure au voyage parce que j’y ai fait quelques rencontres. Mercredi soir je dîne avec Kara dans Wadi Musa. On parle de voyages, d’Israël où elle aussi, elle ira après la Jordanie. Kara me parle de son Amérique. Entre Obama et McCain, elle avoue avoir hésité un moment, mais quand Palin est arrivée, c’était « no way« . Elle est contente de son président, mais elle a peur de la réforme du système de santé: « s’il ne la fait pas adopter, son mandat est foutu, il ne pourra pas lancer d’autres grands projets de ce genre. » La discussion s’emballe, je tente de lui expliquer la laïcité française,  elle s’inquiète du créationnisme qui s’est payé un musée à Cincinnati, où elle vit.

Bédouines (presque authentiques) près du Haut Lieu du Sacrifice.

Bédouines (presque authentiques) près du Haut Lieu du Sacrifice.

It’s a Bedouin life

A Pétra on ne rencontre pas que des routards. Sur le site, impossible de passer à côté des Bédouins. Alors que le site était tombé dans l’oubli après la chute des Romains (qui avaient finalement réussi à le piquer aux Nabatéens au IIe siècle en les asphyxiant économiquement), ils ont veillé dessus, depuis leurs grottes. Au début des années 1970, les Jordaniens comprennent qu’à Pétra il y a de l’argent à faire. Ils aménagent le site pour les touristes, puis en 1985, dégagent les Bédouins des grottes attenantes, parce qu’il faut bien présenter devant l’occidental en goguette. Les sbires de Hussein relocalisent les Bédouins dans un village à proximité de Pétra.

Du coup, les Bédouins de Pétra deviennent vendeurs de bijoux, loueurs de chameaux, guides divers. Pour des nomades, ça fait un changement. Mais pas assez pour qu’ils perdent leur tradition d’hospitalité. D’ailleurs, à la fin de la première journée, nous nous faisons inviter avec Kara et Maria à prendre le thé- dont un Bédouin boit plusieurs litres par jour- dans leur village. Ahmed nous explique la philosophie de son peuple: « nous l’argent et le temps, on s’en fout, on vit  de ce qu’on a, on ne planifie jamais rien. Demain, c’est demain, c’est aujourd’hui qui compte. Ce qui compte c’est de voyager et de rencontrer des gens. »

Forcément, quand on le voit avec sa tasse de thé, assis en tailleur sur son tapis en train de toiser son feu, la clope au bec, le bandana bien fixé sur ses dreadlocks, Ahmed a la classe. Mais quand le lendemain, un puis deux, puis trois et quatre Bédouins nous sortent exactement le même discours, je commence à douter de leur authenticité. J’en doute encore plus quand je me rends compte qu’aucun d’entre eux n’est capable de me parler ni de leur culture, ni de leur rapport aux Arabes, ni de quoi que ce soit de concret  pendant plus de deux minutes. Par contre, pour raconter leurs exploits sexuels avec les touristes, là, les Bédouins de Pétra ont de la salive à revendre. Beaucoup trop d’ailleurs. Au final, le « Bedouin way of life » avec lequel ils m’ont rabattu les oreilles pendant deux jours, s’apparente surtout à un concept pour occidental stressé. Difficile de leur en vouloir. Ces gosses ont grandi avec les touristes, ont été dopés aux cours d’anglais à l’école, bien loin de leur culture traditionnelle. C’est juste dommage de ne pas faire de rencontre vraiment enrichissante.

Les nécropoles royales.

Les nécropoles royales.

Silence absolu

Peu importe. Pétra se suffit à elle-même. Je pourrais rester une semaine entière à laisser traîner mes pieds dans sa poussière rouge, à méditer perché sur ses montagnes, à la recherche du silence absolu qui ne se cache jamais très longtemps. Mais la route m’attend. Après Petra, elle doit m’amener dans un autre lieu mythique, le désert de Wadi Rum. Jeudi matin, je retrouve Francesco et Valentina , deux italiens fauchés rencontrés la veille au Monastère, pour continuer vers le sud. Maria devait venir avec nous, mais elle a filé à l’aube, sans prévenir… C’est aussi ça les rencontres de la route, on passe une ou deux journées avec des gens, mais ils disparaissent de notre vie comme ils y sont entrés, par hasard.

Un bus et deux auto stop plus tard, nous entrons dans la réserve ou Lawrence d’Arabie, du moins celui de T.E Lawrence, a reuni les armées arabes. A peine arrivés au Visitors Center, un Bédouin, Ali, nous bondit dessus et nous propose de nous emmener en jeep découvrir les merveilles du désert. A 15 euros de l’heure, non merci. Mais très vite, il faut se rendre a l’évidence. Ici, la beauté se paye. La très grosse majorité du site n’est pas accessible à pied. Je dépose mes affaires avec mes deux acolytes au campement (ici, pas d’hôtels), et je finis par me résigner à accepter la « super special offer » d’Ali. Les deux heures de jeep vont finalement durer 40 minutes, puisque je devrai accompagner Ali déjeuner avec ses amis Bédouins le reste du temps.

Le Wadi Rum, très beau, très cher.

Le Wadi Rum, très beau, très cher.

Je tente d’oublier, j’ouvre grands mes yeux. Les rocs sont roses, oranges, rouges, tantôt lisses, tantôt escarpés, ici un arbre a poussé on ne sait comment, là un puit permet aux dromadaires de s’abreuver et de stocker de l’eau dans leur bosse avant de partir arpenter le désert. Reste que mon plaisir est gâché par mon pseudo guide, qui en plus de m’arnaquer, ne connaît rien au Wadi Rum.

Marcher jusqu’à Jérusalem

Il est 16 heures quand il me ramène au campement, et je me demande bien ce que je vais pouvoir faire jusqu’au lendemain matin, ou j’avais prévu de rejoindre Aqaba. Et puisque le voyage, c’est aussi l’improvisation, je décide d’avancer mon étape. Deux arnaques bédouines plus loin, j’arrive à la jonction entre la route de Wadi Rum et la route du Roi qui relie le nord au sud de la Jordanie. Deux paysans me prennent en stop. Quelques kilomètres plus loin, ils embarquent également Mike, un anglais de 28 ans. Lui la route, ça ne fait pas –comme moi- six jours, mais six mois qu’il la fait. » Je savais pas quoi faire dans le Sussex, mes potes m’ont dit « tu n’as qu’a marcher jusqu’a Jérusalem », donc je l’ai fait« . Tout de suite, ça en jette. Sauf qu’avec sa barbe et son Coran dans le sac, les douaniers de Pont Allenby ne l’ont pas laisser rentrer en Terre Promise. Mais Mike reste philosophe. Maintenant, il veut rentrer en Angleterre. Par l’Afrique du Nord, et à pied, évidemment.

Arbre miraculeux et bienvenu pour les chèvres.

Arbre miraculeux et bienvenu pour les chèvres.

Convergence des mondes

J’arrive à Aqaba en fin d’après-midi. La ville n’a rien de bien excitant, mais sa situation suffit à laisser rêveur. Blottie entre l’Arabie Saoudite, Israël et l’Egypte, elle m’évoque un point de convergence entre trois continents, trois mondes. Je regarde les cotes à l’est et à l’ouest, je pense à tous les pays que je voudrais découvrir.

J’entre à l’hôtel à la même seconde que Mehdi, qui lui est venu d’Egypte. Il est marocain, va rentrer à l’ENA, et s’offre quelques jours de vacances improvisés au Proche-Orient. On dîne ensemble, il me parle de son Maroc, où il aimerait tellement que l’éducation se développe (officiellement, 51% de la population est alphabétisée), qu’elle soit plus cohérente (le français est langue d’enseignement à l’université mais pas à l’école- du coup à la fac, « on écrit en petit nègre »). D’autant que selon lui, ce manque d’éducation est le terreau d’un islamisme qui gagne du terrain, « rapporté par des immigrés qui rentrent au pays, après s’être radicalisés a l’étranger…Paradoxal, non ?« . Je le laisse partir découvrir le Wadi Rum, après l’avoir mis en garde.

Ma route à moi en a fini de descendre au sud .d Elle tourne vers l’ouest, en longeant la cote de la mer Rouge jusqu’à Eilat en Israël, pour une étape un peu spéciale. Le lendemain, je devrais convaincre les douanes israéliennes que mon passage au Liban et en Syrie n’était guidé par la curiosité de découvrir des cultures différentes de la mienne. Quand le voyage se heurte à la réalité politique. Mais la route ce sont aussi les aléas. Depuis le temps que cette question de la frontière me préoccupe, j’ai fini par la prendre avec recul. Au check point d’Eilat, advienne que pourra.

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Posted in: Carnets d'Orient